Canadian Index of Wellbeing
University of Waterloo
Faculty of Health
200 University Ave. W.
Waterloo, ON N2L 3G1
L’écart entre la croissance économique et le mieux-être s’accentue
Nous avons le sentiment que tout ne va pas si bien au Canada. Mais il s’agit plus que d’un sentiment; c’est un fait. Lorsque nous comparons les tendances relatives au mieux-être des Canadiens avec la croissance économique durant la période de 1994 à 2014, l’écart entre le PIB et notre mieux-être est énorme et s’accentue. Lorsque les Canadiens se couchent le soir, ils ne se soucient pas du PIB. Ils se préoccupent de cumuler suffisamment d’heures d’emploi à temps partiel, de l’augmentation des droits de scolarité et de logement abordable. Ils pensent à la dernière fois qu’ils se sont rassemblés avec des amis ou à la prochaine fois qu’ils pourront prendre des vacances. Voilà peut‑être pourquoi nous dormons moins qu’il y a 21 ans.
Nous devons nous concentrer sur ce qui importe aux Canadiens
Depuis plus de 10 ans, l’Indice canadien du mieux‑être (ICM), logé à l’Université de Waterloo, offre une analyse complète de la façon dont nous nous portons véritablement dans les aspects de nos vies qui nous tiennent le plus à cœur. L’ICM s’appuie sur près de 200 sources de données fiables, principalement de Statistique Canada, qui fournissent 64 indicateurs représentant huit domaines interconnectés d’une importance cruciale pour notre qualité de vie. Le cadre de l’ICM découle de larges consultations avec des Canadiens des quatre coins du pays, ainsi que des experts nationaux et internationaux. Il est fondé sur les valeurs canadiennes et reflète ce qui importe vraiment dans nos vies.
L’ICM adopte une approche systémique et cerne les points d’appui fondamentaux qui ont un impact positif sur notre mieux-être dans plusieurs domaines – Dynamisme communautaire, Participation démocratique, Éducation, Environnement, Populations en santé, Loisirs et culture, Niveaux de vie et Emploi du temps. Lorsque nous nous attaquons à des défis dans une portion du système, les améliorations peuvent se manifester dans plusieurs domaines et dans le mieux-être global.
Dans ce Rapport national de l’ICM 2016, nous décrivons comment les Canadiens se portent véritablement en fonction des tendances dans tous les domaines, de 1994 à 2014.
Après 2008, l’économie s’est redressée, mais l’écart avec le mieux-être s’est accentué
Bien que l’économie ait été brièvement chancelante après la récession de 2008, elle s’est redressée depuis, selon le PIB. Cependant, le mieux-être des Canadiens a subi un recul important, et il commence à peine à se rétablir. De 1994 à 2014, le PIB a augmenté de 38,0 %, alors que notre mieux-être s’est accru de seulement 9,9 %. En fait, l’écart entre la croissance du PIB par habitant et le mieux-être des Canadiens est encore plus creux que durant la période précédant immédiatement la récession. En 2007, l’écart entre le PIB et l’ICM était de 22,0 %. En 2010, l’écart avait augmenté jusqu’à 24,5 %, et en 2014, il avait bondi à 28,1 %.
Le mieux-être des Canadiens a souffert davantage dans certains domaines que dans d’autres. Nous perdons du temps précieux en Loisirs et culture. Nous ressentons une Contrainte de temps plus que jamais, et malgré des améliorations de la santé globale de la population, des indicateurs troublants montrent que tout ne va pas si bien. Sur une note positive, l’Éducation montre des signes encourageants, notre Dynamisme communautaire est meilleur, et la participation à notre processus démocratique s’est améliorée. Cependant, les tendances à la hausse dans ces domaines de notre vie n’ont pas aidé le mieux-être des Canadiens à suivre le rythme du rétablissement de l’économie.
Tendances de L'indice Canadien du bien-être et du PIB (par habitant) de 1994 à 2014
La récession a porté un dur coup à nos Niveaux de vie
Comme l’économie, les Niveaux de vie étaient en bonne voie au Canada, ayant augmenté de 25 % jusqu’à la récession en 2008. Immédiatement après 2008, ils ont chuté de près de 11 %. Depuis la récession, la situation de l’emploi est plus précaire, étant donné que tous les gains réalisés avant 2008 pour contrer le chômage à long terme et obtenir des emplois à temps plein ont été perdus. Malgré une augmentation de 30 % des revenus familiaux médians et une diminution du nombre de personnes vivant dans la pauvreté, l’inégalité des revenus croît. Et plus de Canadiens ont de la difficulté à payer les coûts d’aliments de qualité et de logement ainsi qu’à y accéder. Alors que les Canadiens sont confrontés à ces préoccupations quotidiennement, les impacts sur d’autres aspects de leur vie sont de plus en plus prononcés.
Loisirs et culture a diminué de plus de 9 %…
Parallèlement, les Canadiens ont sacrifié des activités qui rendent souvent la vie intéressante : les loisirs, les arts et la culture, le bénévolat et les vacances. De 1994 à 2014, le domaine Loisirs et culture a connu une diminution globale de plus de 9 %. Six de ses huit indicateurs ont diminué. Les Canadiens consacrent moins de temps à participer aux arts, à la culture et aux loisirs sociaux. Le temps consacré au bénévolat pour des organismes voués à la culture et aux loisirs a diminué de près de 30 %, et nous passons moins de nuitées à l’extérieur du domicile durant les vacances. Bien que la fréquence d’activité physique augmente, et qu’il y ait des signes encourageants que les Canadiens recommencent à assister à des représentations artistiques ainsi qu’à visiter des parcs et des lieux historiques nationaux, en 2014, les dépenses des ménages dans les loisirs, la culture et les sports étaient à leur point le plus bas de toute la période de 21 ans.
… et nous continuons d’éprouver la contrainte de temps
La récession n’a pas changé le nombre d’heures que compte une journée; mais elle a effectivement changé la façon dont nous employons ce temps. Malgré un gain de 3,0 % dans le domaine Emploi du temps, les Canadiens sont aux prises avec des contraintes de temps. Nous constatons cela dans tous les domaines, dans la façon dont nous utilisons nos temps de loisirs et la mesure dans laquelle nous parlons à nos enfants, notre participation à l’éducation des adultes et notre engagement dans la communauté.
Les indicateurs de l’Emploi du temps révèlent que nous passons près de 30 % moins de temps avec nos amis. Nos temps de trajet entre le domicile et le travail sont plus longs, et seulement 35 % d’entre nous dorment suffisamment – une baisse par rapport à 44 % en 1994. Les gains dans le domaine proviennent du fait que moins de personnes travaillent plus de 50 heures par semaine et que plus de personnes ont des horaires de travail flexibles. Parallèlement, les emplois sont plus précaires. Une personne sur 20 travaille moins de 30 heures par semaine, et non par choix. Un travailleur sur trois n’a pas d’horaire de travail régulier durant les jours de semaine, une hausse par rapport à un sur quatre en 1994. Et bien que le pourcentage de personnes déclarant éprouver un haut niveau de contrainte de temps ait passablement diminué depuis le sommet de la fin des années 1990, globalement, les chiffres sont retournés aux niveaux de 1994.
Tendances de l’Indice canadien du mieux-être et de ses huit domaines, de 1994 à 2014
L’Éducation est le seul domaine à suivre le rythme de l’économie
Le domaine Éducation, qui comprend l’apprentissage de la petite enfance à l’âge adulte, a largement suivi le PIB, ayant connu une augmentation globale de 32,8 % entre 1994 et 2014. Six de ses huit indicateurs montrent des progrès, incluant des améliorations du ratio élèves-enseignants, une hausse de 15 % des investissements par habitant pour les élèves des écoles primaires et une plus grande participation à l’éducation des adultes. Neuf étudiants sur 10 terminent maintenant leurs études secondaires, et près d’un Canadien sur trois (28 %) détient un diplôme universitaire – une hausse par rapport à 17 % en 1994. Cependant, les droits de scolarité ont presque triplé durant la même période. Le pourcentage d’enfants ayant accès à une place en centre de services de garde réglementés a plus que doublé depuis 1994, mais malgré cette augmentation, à ce jour, seulement un enfant sur quatre a un tel accès – et encore faut-il que la famille en ait les moyens.
Le Dynamisme communautaire révèle que les Canadiens s’unissent…
Globalement, l’augmentation de près de 15 % dans le Dynamisme communautaire révèle que les Canadiens s’unissent et ont un sentiment d’appartenance. Deux personnes sur trois ont un fort sentiment d’appartenance à la communauté – un facteur contribuant grandement au mieux-être personnel et communautaire. L’Indice de gravité de la criminalité a diminué considérablement, par rapport à 1994. Les gens se sentent plus en sécurité dans leur quartier et subissent moins de discrimination. Plus de personnes offrent de l’aide non rémunérée aux autres – le pourcentage ayant atteint un sommet à 84 % en 2007, mais étant tout de même en hausse de 8,4 % globalement depuis 1994. Bien que le pourcentage de la population ayant au moins cinq amis proches et que les niveaux de confiance générale aient atteint leurs points les plus bas en 2008, les deux indicateurs sont en hausse constante depuis ce temps. Cependant, le pourcentage de la population faisant du bénévolat structuré pour des organismes ne s’est pas rétabli. Le bénévolat a augmenté de 15 % de 1994 à 2008, pour atteindre un sommet de 65 %. Au cours des six années suivantes, tous les gains des années antérieures ont été perdus, et le bénévolat s’est retrouvé presque exactement au point où il était en 1994. Peu importe la cause fondamentale – inquiétudes relatives à l’emploi ou augmentation de la contrainte de temps – l’engagement des Canadiens à l’égard du bénévolat semble être une autre victime de la récession.
… mais nous sommes ambivalents quant à la Participation démocratique
Une démocratie prospère repose sur la confiance, la certitude et la participation à l’égard de nos institutions. Nous constatons des défis réels dans ces domaines, même si la participation électorale a augmenté au cours des dernières années, et que les jeunes électeurs sont de plus en plus engagés. Le domaine Participation démocratique a augmenté de 15 % de 1994 à 2008, mais s’est écroulé jusqu’en 2011, lorsqu’il a commencé à retourner aux niveaux antérieurs. Globalement, les Canadiens semblent ambivalents quant à leur démocratie. En 2014, à peine un tiers des Canadiens déclaraient faire confiance au Parlement fédéral – une baisse par rapport à 14 % en 2003. Moins de personnes sont satisfaites de la façon dont la démocratie fonctionne au Canada – la proportion ayant diminué de 5 % depuis 2008. Moins de 2 % des Canadiens font du bénévolat pour des organismes politiques ou de représentation. Le ratio entre les électeurs inscrits et les électeurs admissibles a diminué. Malgré la parité des sexes au Cabinet actuel, les femmes sont toujours considérablement sous-représentées au Parlement. Si nous voulons voir des changements réels au pays, les Canadiens doivent sentir que leur voix et leur participation comptent dans le processus démocratique, et à plus d’égards que le simple fait de voter.
Les résultats sont partagés pour les Populations en santé…
Les résultats du domaine Populations en santé sont aussi partagés. En hausse de 16,2 % globalement, le domaine indique une espérance de vie plus longue, une forte diminution du tabagisme chez les adolescents – particulièrement chez les filles –, des cotes légèrement meilleures relativement à la santé mentale et des gains modestes quant aux taux de vaccination contre la grippe. Malheureusement, les résultats positifs cachent des contradictions importantes. Les Canadiens n’évaluent pas leur santé globale aussi positivement qu’auparavant. Les taux de diabète ont augmenté de deux fois et demie, touchant 6,7 % de la population en 2014. Plus d’une personne sur cinq a une limitation relative à la santé ou à l’activité, et l’accès à un médecin de famille a légèrement diminué. Les personnes en situation de faible revenu ont été les plus touchées par les tendances contradictoires dans ce domaine au cours des deux dernières décennies. Il est important de viser la bonne santé pour que les Canadiens puissent participer pleinement à l’école, au travail, à la famille et à la communauté.
… et l’Environnement stagne
De 1994 à 2014, le domaine Environnement a diminué de 2,9 % globalement. Après 21 ans d’efforts pour s’attaquer à l’enjeu le plus urgent sur la planète – la planète elle-même – les résultats sont décourageants. Notre empreinte environnementale, la quatrième plus importante au monde, demeure énorme et inchangée. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté. Les niveaux de smog et les rendements d’eau douce sont demeurés essentiellement les mêmes. La quantité de terres agricoles diminue, bien que la production soit en hausse pour les fermes consolidées de plus grande taille. Les quelques améliorations du domaine ont découlé largement d’une production de combustibles fossiles réduite après la récession. Les résidents canadiens apportent leur contribution, en ayant réduit l’utilisation d’énergie résidentielle de 20%, mais beaucoup plus de progrès doivent être réalisés par les industries qui produisent 60 % des émissions. Le gouvernement a récemment fait preuve d’un leadership déterminant en s’attaquant aux changements climatiques, et nous devons exiger des actions continues de la part de l’industrie, des gouvernements et des résidents.
L’ICM offre de nouvelles orientations stratégiques
La quête déterminée de la croissance économique a largement défini la politique publique du Canada au cours des dernières décennies. Malgré tout, bien que le Canada puisse se vanter d’être l’un des pays les plus prospères au monde, ainsi que d’avoir évité les pires impacts de la récession de 2008, nous ne pouvons pas nous vanter que le mieux-être des Canadiens a suivi le rythme.
En reconnaissant que le mieux-être est fondé sur un système interconnecté de domaines cruciaux pour la qualité de vie des Canadiens, l’ICM offre un processus visant l’avancement d’orientations stratégiques influentes. Le besoin de combler l’écart croissant des inégalités pour tous les Canadiens est le thème central qui émerge des constatations du présent rapport. Voici des orientations stratégiques novatrices et intégrées qui doivent être envisagées :
- un revenu de base universel qui est incorporé au filet de sécurité sociale — accompagnant des programmes efficaces qui appuient les enfants et les adultes âgés
- une stratégie d’éducation pancanadienne visant à créer plus de possibilités accessibles pour les Canadiens tout au long de leur vie
- l’adoption d’une perspective « en amont » de la promotion de la santé
- la promotion d’une collaboration intersectorielle dans les communautés afin de tirer profit des ressources ainsi que de faciliter l’engagement et la collaboration des citoyens
- un accès universel aux loisirs, aux arts, à la culture, aux sports ainsi qu’aux parcs et aux activités récréatives afin d’enrichir la vie
Certaines des politiques ne sont pas nouvelles. Cependant, leur justification va au-delà des solutions uniques et reconnaît la multitude de façons dont elles peuvent améliorer le mieux-être des Canadiens. En plaçant le mieux-être au cœur des politiques, nous voyons les possibilités qu’un revenu de base universel peut offrir outre le fait de sortir les gens de la pauvreté. Il crée des possibilités. Il offre des choix aux gens. Il enrichit leur vie, et leur famille peut profiter de la vie autrement que simplement payer les factures.
Au début de 1904, Sir Wilfrid Laurier a exprimé une perspective optimiste : « … Je pense que nous pouvons affirmer que c'est le Canada qui envahira le XXe siècle. » Alors que nous entrevoyons les 150 prochaines années du Canada, en plaçant le mieux-être au cœur des politiques publiques, le XXIe peut effectivement appartenir au Canada.