Un capteur quantique de la prochaine génération

Monday, March 4, 2019

Travaillant sous la direction du professeur Michael Reimer, des chercheurs de l’Institut d’informatique quantique (IQC) ont mis au point un nouveau capteur quantique ayant recours à des nanofils semiconducteurs qui peuvent détecter rapidement et efficacement des particules individuelles de lumière sur une gamme sans précédent de longueurs d’onde allant de l’ultraviolet à l’infrarouge proche.

Ce dispositif inédit surclasse les technologies actuellement commercialisées et ouvre d’énormes possibilités pour des applications de détection, notamment la surveillance des doses pour le traitement de cancers, l’imagerie 3D, les communications quantiques et la télédétection.

« Un capteur doit détecter la lumière d’une manière très efficace. Dans des applications comme le radar quantique, la surveillance et les opérations nocturnes, très peu de particules de lumière — appelées photons — atteignent le capteur », déclare M. Reimer, qui est également professeur adjoint au Département de génie électrique et informatique à l’Université de Waterloo. « Dans de tels cas, on veut pouvoir détecter chaque photon qui arrive. » [traduction]

Représentation artistique de l’interaction de photons individuels incidents et d’un photodétecteur formé d’un réseau de nanofils semiconducteurs coniques.

Représentation artistique de l’interaction de photons individuels incidents et d’un photodétecteur formé d’un réseau de nanofils semiconducteurs coniques. Chaque nanofil a une forme optimale pour bien absorber la lumière incidente. Une lueur bleue représente l’impression artistique du processus d’absorption et l’effet d’avalanche dans la jonction p‑n des nanofils.

Le capteur quantique de prochaine génération conçu dans le laboratoire de dispositifs photoniques de Michael Reimer est si rapide et efficace qu’il peut absorber et détecter un photon individuel et se réinitialiser en quelques nanosecondes pour l’arrivée du prochain photon.

Les chercheurs ont créé un réseau de nanofils coniques qui transforment les photons incidents en un courant électrique pouvant être amplifié et détecté. La rapidité, la résolution temporelle et l’efficacité du réseau de nanofils semiconducteurs sont dues à la qualité des matériaux employés, au nombre de nanofils, au profil de dopage ainsi qu’à l’optimisation de la forme et de la disposition des nanofils.

Les chercheurs ont fait appel à un logiciel évolué de modélisation pour optimiser la forme des nanofils. Leur forme conique permet de détecter un large éventail de longueurs d’onde, puisque la lumière de petite longueur d’onde est absorbée au sommet des nanofils, alors que celle de grande longueur d’onde est absorbée près de leur base. De plus, les nanofils sont conçus pour que les photons soient absorbés exactement à la jonction p‑n (positif-négatif), qui produit le champ électrique nécessaire pour amplifier le signal du photon absorbé. Une absorption à la jonction p‑n se traduit par un temps de parcours moins long dans le nanofil et par une meilleure résolution temporelle, ce qui est nécessaire pour détecter chaque photon individuel avec une grande précision chronologique.

Animation représentant l’absorption d’un photon dans un nanofil.

Les collaborateurs de l’équipe à l’Université technique d’Eindhoven, aux Pays-Bas, se sont rendu compte que la production des nanofils par gravure (méthode descendante) donnait une meilleure qualité optique que la production par croissance (méthode ascendante). Ces nanofils permettent d’avoir un courant d’obscurité — bruit de fond avant l’absorption d’un photon — très faible, et donc d’obtenir un excellent rapport signal sur bruit.

M. Reimer et son équipe ont optimisé la disposition des nanofils de manière à obtenir un temps de réponse très court. « Nous nous sommes rendu compte, explique-t-il, que si les nanofils du réseau étaient trop espacés, la lumière passerait sans être détectée et que s’ils étaient trop rapprochés, ils se comporteraient comme un matériau solide réfléchissant la lumière. Avec le bon espacement et une forme appropriée des nanofils, le réseau absorbe toute la lumière au lieu de la réfléchir. » [traduction]

La télédétection, la capture à grande vitesse d’images à partir de l’espace, l’acquisition d’images 3D à grande résolution, les communications quantiques, ainsi que la détection d’oxygène singulet pour la surveillance des doses dans le traitement de cancers, sont toutes des applications qui pourraient bénéficier de la détection de photons individuels fournie par ce nouveau capteur quantique.

Des détecteurs de photons individuels faisant appel à des nanofils supraconducteurs ont été mis au point pour répondre à de nombreuses demandes de ces applications, mais leur portabilité est limitée car ils fonctionnent à des températures cryogéniques. Ces contraintes confinent ces appareils aux laboratoires.

Les photodiodes à avalanche de photons individuels actuellement sur le marché contournent le problème de la température, mais imposent des compromis entre la résolution temporelle et l’efficacité. Le nouveau réseau de nanofils mis au point par Michael Reimer et son équipe n’impose aucun compromis de ce genre. Il détecte la lumière avec beaucoup d’efficacité et une grande résolution temporelle, et ce, à la température ambiante. M. Reimer fait remarquer qu’une utilisation en dehors des laboratoires bénéficiera probablement d’un simple réfrigérateur portable à effet Peltier, qui abaissera la température du dispositif à quelques degrés sous zéro, bien loin des quelque 3 kelvins qu’exigent les appareils supraconducteurs disponibles.

Contrairement aux détecteurs de photons individuels actuellement commercialisés, qui n’absorbent qu’une bande étroite de longueurs d’onde de lumière, ce nouveau capteur peut détecter la lumière dans un large spectre allant de l’ultraviolet (UV) à l’infrarouge (IR) proche. M. Reimer prédit que ce spectre pourra être élargi encore davantage vers les longueurs d’onde utilisées en télécommunications.

« Ce dispositif utilise des nanofils en phosphure d’indium (InP), dit-il. En remplaçant ce matériau par de l’arséniure d’indium et de gallium (InGaAs) par exemple, on pourrait étendre le spectre de détection sans dégradation des performances. Ce dispositif est à la fine pointe et peut encore être amélioré. » [traduction]

Spectre d’absorption d’un réseau de nanofils d’InP et de nanofils d’InGaAs.

Spectre d’absorption d’un réseau de nanofils d’InP et de nanofils d’InGaAs. Dans ce dernier cas, le taux d’absorption reste voisin de 1 sur une fourchette sans précédent de longueurs d’onde (« Wavelength »).

Cette fourchette étendue permettra de détecter des ondes des domaines des télécommunications et de l’infrarouge, augmentant encore davantage la portée des applications commerciales possibles.

Maintenant qu’ils disposent d’un capteur quantique efficace, rapide, à large bande et fonctionnant à la température ambiante, quelles pourraient être les prochaines étapes pour ces chercheurs?

Une fois que le prototype sera doté de l’assistance électronique voulue et d’un dispositif portable de réfrigération, le capteur pourra être testé en dehors du laboratoire. « Beaucoup d’industries et de domaines de recherche bénéficieront d’un capteur quantique ayant ces propriétés, déclare M. Reimer. Ce capteur quantique efficace, rapide, à large bande et fonctionnant à la température ambiante ouvre la voie à de nouvelles possibilités passionnantes de détection de photons. » [traduction]

L’article intitulé Tapered InP nanowire arrays for efficient broadband high-speed single photon detection (Réseaux coniques de nanofils d’InP pour une détection efficace et à large spectre de photons individuels), écrit en collaboration avec des chercheurs de l’Université technique d’Eindhoven, a été publié le 4 mars dans la revue Nature Nanotechnology. Ces recherches ont été menées en partie grâce à l'appui du Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada (FERAC).