Les meilleures horloges au monde arrivent à tenir le temps avec une précision telle qu’elles ne s’écartent que d’une seconde sur des millions ou même des milliards d’années. Pourtant, des chercheurs souhaitent ardemment réaliser des horloges encore meilleures.
Une fois que l’on aura atteint un certain seuil de précision et de stabilité, cela ouvrira d’immenses possibilités pour comprendre l’univers et mettre au point des technologies quantiques telles que des accéléromètres, des gravimètres et des systèmes de communication.
Pendant son stage postdoctoral à l’Institut de technologie de la Californie (Caltech), Alexandre Cooper-Roy, associé de recherche à l’IQC et responsable technique des simulations quantiques chez Technologies quantiques transformatrices (TQT), a élaboré avec des collaborateurs du laboratoire JPL de la NASA un système évolué qui ouvre de nouvelles avenues pour la réalisation d’horloges atomiques optiques ultrastables et précises. Ce système pourrait devenir la base standard de la conception des horloges de pointe de l’avenir.
Bonifier l’état de l’art
Les horloges mesurent le passage du temps en comptant les oscillations dun résonateur. Dans une horloge grand-père, le résonateur est un pendule. Dans lhorloge dun ordinateur, le résonateur est un cristal qui vibre lorsquon lui applique un courant électrique. Les meilleures horloges disponibles à lheure actuelle font appel à des lasers régulés par les oscillations quantiques datomes en général des transitions délectrons entre orbites agissant comme résonateurs. La plupart de ces horloges atomiques optiques appartiennent à lune ou lautre des catégories suivantes : horloges à ion simple et horloges à réseau optique datomes neutres.
Les horloges à ion simple font appel à un seul atome chargé, mesuré plusieurs fois, pour réguler la fréquence de leur laser. Cest le mécanisme le plus précis, mais ce nest pas le plus stable, et il faut plus de temps quavec lautre système pour obtenir des données statistiquement suffisantes.
Les horloges à réseau optique sont constituées datomes neutres piégés dans un réseau optique formé par des rayons laser interférant entre eux, un peu comme des œufs sont maintenus en place dans un contenant de manière à ne pas sentrechoquer.
Cet ensemble d’atomes est mesuré en bloc pour réguler la fréquence du laser, ce qui donne une stabilité beaucoup plus grande qu’avec un seul ion.
Mais il y a un problème : chaque atome du réseau peut donner l’heure d’une manière un peu différente, en raison des variations du champ magnétique, de la profondeur des pièges ou du rayon laser. L’analyse de tous ces atomes doit inclure toutes ces petites variations qui réduisent la résolution de la mesure, d’où une moins grande précision qu’avec une horloge optique à ion simple.
Alexandre Cooper-Roy et son équipe ont vu une possibilité de combiner les atouts des deux systèmes et d’en atténuer les faiblesses. Une horloge à réseau optique et à mesure d’un seul atome pourrait combiner la stabilité d’un réseau d’atomes neutres et la précision liée au traitement d’un seul atome à la fois.
Ils ont donc construit une telle horloge.
La nouvelle norme
Le strontium possède sur sa couche extérieure 2 électrons dont les spins peuvent avoir diverses combinaisons d’états. L’un des types de transition entre ces états est normalement interdit, mais si on applique un champ magnétique, on peut forcer cette transition à l’aide d’un laser.
Cette transition se produit dans une bande de fréquence extrêmement étroite, que M. Cooper-Roy et son équipe ont utilisée pour stabiliser la fréquence de leur laser. En mesurant si leur laser excitait ou non cette transition, les chercheurs ont pu dire si le laser oscillait à la bonne fréquence et ont pu le régler en conséquence.
Leur résonateur étant réglé à cette fréquence extrêmement précise sur la base de 40 atomes de strontium isolés dans un réseau de pinces optiques, les chercheurs ont réussi à construire une horloge à réseau optique où chaque atome est mesuré individuellement, ce qui constitue une amélioration par rapport à lanalyse en bloc de tout un groupe datomes.
Maintenant que nous mesurons des atomes individuels, nous pouvons voir que chaque atome donne une heure différente, dit M. Cooper-Roy. À long terme, je crois que ce système constitue la voie à suivre pour avoir des horloges plus stables et plus précises.
Alexandre Cooper-Roy voit 2 avenues de développement évidentes qui pourraient faire de ce dispositif le système de choix pour des recherches théoriques et des applications pratiques. Premièrement, une stabilité et une précision encore plus grandes ouvriraient un domaine entièrement nouveau de recherche en physique fondamentale.
« Si nous atteignons une certaine stabilité relative, dit M. Cooper-Roy, de nouvelles avancées en physique fondamentale deviennent possibles, parce que l’on peut se servir de ces horloges pour rechercher des ondes gravitationnelles, de la matière sombre ou des variations potentielles de constantes fondamentales. » L’étape suivante dans cette direction consiste à permettre aux atomes piégés dans le réseau d’interagir et de s’intriquer entre eux, puis à utiliser cette intrication comme source de stabilité.
Deuxièmement, l’équipe de scientifiques a déjà conçu un bâti pour une partie de son montage, ramenant la réalisation d’une horloge mobile à un problème technique relativement simple. « On pourrait transporter ces horloges dans un camion, un satellite, etc., dit M. Cooper-Roy, et les utiliser pour faire des mesures géodésiques relativistes et dans d’autres applications pratiques. »
Une technologie de pointe à l’IQC
Alexandre Cooper-Roy est venu à l’IQC comme associé de recherche et responsable technique des simulations quantiques chez Technologies quantiques transformatrices (TQT). Avec l’aide de son équipe, il construit un montage de pinces optiques semblables à celui de Caltech. Mais, cette fois, ce n’est pas pour fabriquer une horloge.
« En général, les pinces optiques sont employées pour 3 applications différentes, dit M. Cooper-Roy : la métrologie quantique [du temps]; le traitement de l’information quantique faisant appel à des portes; la simulation quantique. Les atomes ainsi piégés se comportent comme de petits aimants interagissant les uns avec les autres. Nous sommes intéressés à simuler le magnétisme quantique à l’aide de réseaux formés de plus d’une centaine d’atomes de rubidium. »
L’équipe travaille actuellement à concevoir, réaliser, assembler et tester ce montage à l’IQC. La première étape consistera à réaliser une intrication multiple à l’intérieur du réseau d’atomes. Les chercheurs n’utiliseront pas cette intrication pour stabiliser une horloge, mais ils en étudieront la dynamique : comment cette intrication augmente, comment elle se perd, etc.
Ce nouveau système est le plus récent d’un ensemble de travaux théoriques et expérimentaux sur la simulation quantique effectués par différentes équipes de recherche de l’IQC. Alexandre Cooper-Roy continue de travailler avec enthousiasme sur ce type de montage évolué de pinces optiques.
« Très peu d’équipes dans le monde utilisent ce genre de montage, dit-il en conclusion. Nous amenons ces techniques de pointe à Waterloo, ce qui nous ouvre des possibilités à un niveau supérieur. » [traduction]
L’article intitulé An Atomic Array Optical Clock with Single-Atom Readout (Une horloge atomique à réseau optique avec mesure d’atomes individuels) a été publié le 11 décembre 2019 dans Physical Review X.