Un chercheur de l’IQC remporte le prix du doyen de la Faculté des sciences

Wednesday, June 24, 2020

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Le Prix du doyen de la Faculté des sciences récompense des étudiants à la maîtrise qui font preuve d’un rendement exceptionnel. Nous avons rencontré le plus récent lauréat, Patrick Daley, chercheur à l’IQC et au Département de physique et d’astronomie, pour en savoir plus sur les recherches qui lui ont valu ce prix.

Félicitations Patrick pour l’obtention du Prix du doyen de la Faculté des sciences. Parlons d’abord de votre mémoire de maîtrise. Quel était l’objet de vos recherches?

J’ai étudié les fondements quantiques dans le laboratoire d’optique et d’information quantiques sous la direction de Kevin Resch, professeur au Département de physique et d’astronomie, ainsi qu’avec Rob Spekkens, de l’Institut Périmètre. Nos recherches visaient principalement à comprendre la causalité en mécanique quantique. Nous nous sommes intéressés à la causalité pour 2 raisons : sur le plan conceptuel, elle nous permet de comprendre ce qui se passe à l’échelle quantique dans l’univers; mais elle a aussi une importance pratique.

Les relations classiques de cause à effet que nous connaissons sont utiles, parce qu’elles nous permettent de prédire ce qui va se passer, même dans des circonstances que nous n’avons pas observées auparavant. C’est commode lorsqu’il est coûteux ou difficile de faire une expérience. La compréhension des relations de cause à effet nous évite de gaspiller des ressources pour essayer diverses options. Nous pouvons prédire ce qui en vaudra le plus la peine.

Nous n’atteignons pas ce degré de compréhension en mécanique quantique. Nous avons seulement des statistiques nous permettant de prédire des choses que nous avons déjà observées. La causalité nous en apprendra davantage. Elle dira ce qui va se passer si l’on faisait quelque chose sans que nous ayons à le faire en réalité.

Quelle démarche avez-vous adoptée pour étudier la causalité en mécanique quantique?

Nous avons pris le cas le plus simple où nous savons que la causalité classique préexistante échoue : le scénario de Bell limité à 2 qubits intriqués. Les expériences de Bell les plus récentes excluent la description causale logique et évidente, qui sous-tend certains principes très fondamentaux comme celui de la localité. En vertu de ce principe, seuls des objets suffisamment rapprochés peuvent exercer une influence les uns sur les autres; leurs effets mutuels ne peuvent voyager plus vite que la lumière.

Si l’on trouve la bonne description causale de ce système quantique de base, on pourra alors mieux comprendre comment la causalité fonctionne en mécanique quantique, ce qui permettra de prédire les issues possibles de ce système sans toutes les tester de manière exhaustive. Très peu de travaux expérimentaux ont abordé ce problème, et c’est pourquoi nous avons travaillé là-dessus.

Nous avons élaboré un cadre qui permet d’évaluer les mérites relatifs de divers modèles de causalité à partir de données réelles obtenues en laboratoire. Nous pouvons évaluer des modèles qui admettent de nouvelles influences pouvant voyager plus vite que la lumière, des modèles superdéterministes où il n’y a aucune liberté de choix, ou encore des modèles où nous modifions les règles concernant ce à quoi peut ressembler une influence causale. Nous avons conçu une expérience de laboratoire portant sur des photons intriqués en polarisation et nous en avons analysé les résultats à la lumière de notre cadre.

Qu’avez-vous constaté?

Nos données ont montré que nous devrions favoriser un modèle de la mécanique quantique où la nature des influences causales elles-mêmes est altérée, plutôt que d’ajouter des influences supplémentaires. Si notre modèle permet des influences plus rapides que la lumière, nous prédisons des choses qui ne se voient pas dans la nature. Nous pouvons constater qu’un tel modèle n’est pas nécessaire avec sa souplesse supplémentaire. Il rend compte du bruit présent dans les données, et son rendement est en fait moins bon. Pour le moment, nous ne pouvons pas prouver quel modèle est le meilleur, mais nous avons des indices sur la direction dans laquelle nous devrions orienter nos recherches.

Qu’est-ce qui distingue votre démarche des autres?

Jusqu’à maintenant, nous avons surtout recherché des descriptions causales compatibles avec les prédictions de la mécanique quantique. Mais qu’arrive-t-il si plusieurs modèles sont compatibles avec ces prédictions? Comment alors choisir entre ces modèles?

Je crois que la leçon à tirer est qu’on peut vraiment en arriver à un modèle de causalité caractérisé par un surajustement, ou par un excès de complexité ou de souplesse. On voit cela rarement en physique, mais on le constate souvent dans les domaines de l’apprentissage statistique et de l’apprentissage automatique. Il y a un intérêt à emprunter des méthodes d’autres domaines. On peut effectivement constater en laboratoire les inconvénients d’une trop grande complexité. Ce que nous faisons n’est pas si extraordinaire en dehors de la communauté des physiciens. Nous avons seulement trouvé ces méthodes et les avons appliquées à des problèmes de fondements quantiques.

À quels défis avez-vous fait face au cours de vos études de maîtrise?

Au départ, notre projet n’était pas bien défini. Nous voulions seulement étudier ce que nous pourrions apprendre sur la causalité. En premier lieu, nous avons abordé celle-ci sous un angle différent : celui d’un cadre probabiliste généralisé. Il nous a fallu un certain temps pour nous rendre compte que nous devrions adopter les méthodes de l’apprentissage statistique et les appliquer à nos recherches.

J’étais le seul étudiant à travailler sur ce projet, de sorte que beaucoup des problèmes et questions aboutissaient sur mon bureau. C’est difficile pour un étudiant à la maîtrise de décider quelles options valent la peine d’y consacrer du temps. D’autres membres de l’équipe qui ne connaissaient pas bien les détails de mon projet m’ont quand même écouté et m’ont aidé à exprimer les problèmes qui se posaient, et je leur en suis très reconnaissant. Kevin et Rob m’ont également apporté beaucoup de soutien, même après l’obtention de mon diplôme, et je ne pourrai jamais assez les en remercier.

Que signifie pour vous l’obtention du Prix du doyen de la Faculté des sciences?

C’est certainement enthousiasmant et encourageant. Cela contribue à me donner confiance au sein du monde universitaire. Je me demande toujours pourquoi mes idées vaudraient la peine d’être entendues, car tellement de recherches sont en cours et je ne suis qu’un étudiant. C’est stimulant que mes mentors, mes pairs et l’ensemble de la communauté de la physique de l’Université de Waterloo trouvent intéressant et digne de mention le travail qui m’intéresse et que j’ai fait.

Qu’est-ce qui vous attend maintenant?

Actuellement, je travaille surtout sur l’article résultant de mon mémoire. Ensuite, j’aimerais continuer de faire des recherches sur des questions de causalité, mais sans nécessairement mettre l’accent sur la mécanique quantique. Je vais probablement faire des études de doctorat, mais pour le moment je prends le temps d’examiner quelques possibilités. J’aimerais m’assurer que ce que je ferai aura le plus d’impact possible sur les problèmes qui valent selon moi la peine d’être abordés.