En manipulant de manière astucieuse 2 propriétés d’un faisceau de neutrons, des scientifiques du NIST et leurs collaborateurs viennent de créer une puissante sonde de matériaux ayant une structure magnétique complexe et torsadée.
Pénétrant profondément dans des matériaux lourds tout en étant capables d’interagir fortement avec des éléments légers, les faisceaux de neutrons permettent de produire des images de liquides contenant de l’hydrogène dans des composantes de moteurs, des réservoirs et des piles à combustible. Ces faisceaux peuvent aussi cartographier la forme de polymères à l’échelle moléculaire, révéler la disposition précise des atomes d’un cristal et dessiner la répartition de l’eau dans des plantes en croissance.
Les faisceaux de neutrons sont devenus des sondes encore plus puissantes lorsque des scientifiques ont appris comment maîtriser 2 propriétés quantiques de ces faisceaux. L’une de ces propriétés, le moment angulaire orbital (MAO), se rapporte à la torsion ou au mouvement de rotation d’un neutron au cours de son déplacement, un peu comme le tourbillon que forme l’eau en tombant dans un drain. L’autre propriété quantique, le spin, est liée au champ magnétique du neutron et peut se comparer au mouvement de rotation d’un couvercle.
Dans un faisceau de neutrons non filtré, le spin des neutrons peut pointer dans une multitude de directions. En contrôlant la direction du spin et en détectant les changements de direction qui surviennent lorsqu’un neutron dévie sur un matériau, les chercheurs ont pu jusqu’à maintenant étudier en détail la structure magnétique d’un grand nombre de matériaux.
Maintenant, des scientifiques du NIST (National Institute of Standards and Technology – Institut national des normes et de la technologie des États-Unis) et une équipe internationale de collaborateurs, dont des chercheurs de l’Université de Waterloo, viennent de manipuler pour la première fois un faisceau de neutrons de sorte que le MAO et le spin soient corrélés — chaque neutron ayant un MAO donné et un spin donné qui est associé à celui-ci.
Cette réussite promet d’augmenter considérablement le rôle des faisceaux de neutrons dans l’étude de la structure magnétique de matériaux torsadés. Par exemple, la sélection simultanée des 2 propriétés permettra une étude plus précise de molécules hélicoïdales telles que l’ADN et de matériaux dits topologiques, dont certains sont conducteurs à la surface mais isolants ailleurs. De tels faisceaux de neutrons permettront aussi d’étudier la forme de molécules chirales — c’est-à-dire qui ne sont pas superposables à leur image dans un miroir plan. Tout comme vous ne pouvez pas mettre un gant gauche à votre main droite, une molécule droite ne peut pas être remplacée par son jumeau gauche.
Les chercheurs, qui comprennent des scientifiques de l’Institut quantique conjoint du Maryland, ont décrit leurs travaux dans un récent numéro de Proceedings of the National Academy of Sciences.
L’équipe a commencé son expérience en utilisant 2 filtres pour assurer la polarisation du faisceau de neutrons — c’est-à-dire que les spins de tous les neutrons pointent dans la même direction. Pour ce faire, l’équipe du NIST a rempli 2 chambres d’hélium 3 gazeux, isotope de l’hélium qui possède un spin. Les chercheurs avaient manipulé ces atomes de sorte que presque tous les spins soient alignés. Les neutrons ne pouvaient traverser ces chambres que si leur spin correspondait à celui des atomes d’hélium 3; tous les autres étaient absorbés par le gaz.
Au cours de l’étape cruciale suivante, le faisceau polarisé traversait un trio de bobines triangulaires ayant des champs magnétiques variables. Cela avait pour effet de donner au faisceau polarisé la forme d’une onde hélicoïdale. Le nombre de révolutions de l’hélice sur une certaine distance — le degré de torsion de l’hélice — déterminait la valeur numérique du MAO. Ainsi, l’équipe conférait au faisceau de neutrons une torsion, ou MAO, donnée.
De plus, la disposition précise des bobines et leurs champs magnétiques respectifs imposaient un modèle géométrique sur la direction du spin des neutrons au sein de l’onde hélicoïdale. Dans l’un de ces modèles, les spins traçaient un cercle pour chaque révolution de l’hélice, la direction d’un spin en particulier dépendant de l’éloignement de chaque neutron par rapport au centre de l’hélice.
Référence de l’article : Sarenac, Dusan, Connor Kapahi, Wangchun Chen, Charles W. Clark, David G. Cory, Michael G. Huber, Ivar Taminiau, Kirill Zhernenkov et Dmitry A. Pushin. « Generation and detection of spin-orbit coupled neutron beams » (Production et détection de faisceaux de neutrons à couplage spin-orbite), Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 116, no 41, p. 20328-20332, 8 octobre 2019. https://doi.org/10.1073/pnas.1906861116