Je traduis, donc je crée : une recherche-création inédite en traductologie
Madeleine Stratford, Université du Québec en Outaouais
Tenant pour acquis que la traductrice littéraire est une créatrice, j’ai entrepris en 2015 d’analyser mon propre processus de traduction dans une démarche autopoïétique et heuristique, afin de répondre à la question suivante : Comment fais-je l’expérience de la création quand je traduis un texte littéraire ? Adoptant une méthodologie relevant de la traductologie génétique (voir Cordingley et Montini 2015), j’ai « filmé » mon processus de traduction française du roman Swim de Marianne Apostolides et de traduction anglaise du roman Les corps extraterrestres de Pierre-Luc Landry à l’aide d’un logiciel de captures d’écran. Le logiciel permet aussi de filmer mon visage ainsi que d’enregistrer ma voix. J’ai aussi tenu, en cours de traduction, un journal de bord sporadique. Les brouillons produits après chaque séance de travail ont également été conservés. J’ai donc accès à toutes les phases de production des avant-textes.
Avant d’entamer ce projet de recherche-création, j’avais souvent la sensation que mon acte de création ne se limitait pas à relever des défis, mais qu’il englobait des moments où je me sentais créer comme si j’étais moi-même l’auteure. Souhaitant isoler ces « moments », je me suis penchée avec mon assistante de recherche Mélanie Rivet sur les séances de travail qui ne semblent pas, a priori, représenter de « défis » particuliers, soit les séances de traduction « à vue » où le texte était traduit « d’un trait », sans consultation de sources ou commentaires. Nous souhaitions identifier, décrire et catégoriser les manifestations de créativité observées et vécues lors de ces séances. Nous nous sommes notamment penchées sur les aspects de l’œuvre (conceptuel, sonore ou spatial) privilégiés en cours de processus ainsi que sur le caractère « intuitif » ou « délibéré » de mes actions comme traductrice. Ce projet apporte un éclairage neuf sur ce qui se produit dans la « boîte noire » de la traductrice littéraire (Jones, 2011) en l’abordant sous l’angle inédit de la recherche-création, en puisant son cadre conceptuel en génétique textuelle tout en innovant dans les modes de collecte et d’analyse de données.
Madeleine Stratford est professeure agrégée à l’Université du Québec en Outaouais et traductrice littéraire. Elle a publié des articles dans des revues scientifiques, dont TTR, Meta et la Revue d’études canadiennes (Canada), ainsi que dans les monographies Translating Women (2011) et Translation Peripheries. Paratextual Elements in Translation (2011). Membre de l’Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada, elle a signé plusieurs traductions, notamment dans carte blanche et TransLit. Sa version française de Ce qu’il faut dire a des fissures de Tatiana Oroño (2012) a reçu en 2013 le prix John-Glassco. Elle nage, sa traduction du roman Swim de Mariane Apostolides a été finaliste en 2016 au prix du Gouverneur général, catégorie traduction.
Le 25 janvier 2019 à 13 h
ML 242